BABEL 3 Les grands poissons mangent les petits, version 2025
-
Traversées Contemporaines Exposition collective Fonds d'art contemporain Guadeloupe 14 mars - 19 avril Chantaléa Commin Babel3 les grands poissons mangent les petits 200x200 cm, 2025 Photo: Dominique Desplan
Babel se présente comme une fresque ramassée, presque de la vidéo où se joue une dramaturgie sous-jacente. En tout cas comme un montage, au sens plastique, une impression d’image mouvante créée par une succession d’images fixes. Il y a des choix comme dans un montage cinématographique. Une sélection de symboles, d’objets, du transfert, pas de collage. Une concentration, de séquence à séquence. Babel ,3ème volet de cette série initiée en 2020 lors du premier confinement planétaire, présente des associations, succession de gros plans et de détails comme dans le langage filmique, (la présence palpable du personnage de gauche, induite par le regard en gros plan lui confère une intériorité saisissante). C'est un des éléments dramatiques qui vont créer des tensions dans la toile.
On reconnait des Objets vernaculaires, ou reconnaissables universellement. Nous sommes singuliers mais unis dans une dramatique mise en scène ! La réussite de la narration n’existe que dans ce qu’il y a entre deux images. Elle en devient naturelle. Un enroulement cosmique, cortège, charivari, fracas, éclatement... Comme un story-board explosé ! Une installation vidéo ; Le plaisir du regard, la volonté de rentrer dedans, à l’intérieur du carré de toile, de découvrir chacun des récits ressemble au mouvement lorsque l’on est pris à l’intérieur d’une installation vidéo. Le regard glisse à la fois entre l’unité et le multiple.
L’enjeu c’est de trouver le dénouage de la caractéristique mutique de la toile, de la peinture.
Le carré (écran) empêche la fuite linéaire, on y est confiné, pas d’échappatoire en loucedé, comme on pourrait l'esquisser en regardant une fresque déployée dans sa largueur ! Nous sommes comme contraints dans un espace défini. “Nous vivons sur une planète ; Toutes les solutions que l’on doit trouver se devront d’être communes, en faisant cas des limites !!!
"Mes origines composites paysannes m’ont ouverte au monde, à la politique, à la sociologie, au « sort collectif ». Assez tôt, elles m’ont disposée à réagir promptement sur des faits de société qui aujourd’hui passent si rapidement que la réaction doit être adaptée. La vidéo ou l’infographie sont les médiums de l’urgence. J’ai eu la chance de pratiquer le numérique dès mes premières années de formation à la Sorbonne en parallèle avec l’utilisation du Super 8. Je suis influencée par l’écriture cinématographique, et ce, même dans la composition picturale qui va prendre des allures de storyboard éclaté, avec la juxtaposition de scènes « en mouvement ». Certaines œuvres picturales naissent parfois d’une mise en scène filmée. Avec la contribution parfois de mon entourage, particulièrement de mes 3 enfants, dont des jumeaux (pour l’efficacité plastique, l’étrangeté et la photogénie de la gémellité)."
Symboles, iconographie
Pont, passage, rencontre, ces thématiques sont dans le titre de l’exposition "Traversées contemporaines" . On retrouve ces passerelles entre rêves, mythologie, histoire de l'art, référence Pop, histoire singulière de l'artiste.
Avec ce gros poisson échoué, emprunté à l’histoire de l’art et les autres références, on peut dire qu'il n’existe pas d’œuvres « neuves » ; les productions ne cessent de se faire écho, de se répondre, de s’influencer tout au long de l’histoire de la culture. Je veux dire que je suis moi-même une sorte d’hybridation inextricable de plein d’apports hétérogènes. Aussi les divers éléments qui composent mon œuvre deviennent aussi poreux et indétectables. Dans ce Babel donc, je cite Pieter Bruegel l’Ancien, une gravure du XVIe siècle, Saint Brendan et la baleine, (dans la première mouture il était aussi question de l’ethnie sédentaire Ashaninka, famille des Arawaks), ici c'est encore la momie chachapoyas du Pérou qui inspira Edvard Munch dans le célèbre Cri, etc. Ici se mélangent, se télescopent moult références anachroniques qui s’interpénètrent et forment dans le tableau une scène unique, alimentée d’éléments brouillés et mêlés puisés dans l’histoire et la géographie. Ceci est à l’image de l’homme nouveau qui s’est façonné à partir de l’Africain arraché et importé sur une terre déjà habitée où d’autres vont le rejoindre pour former ensemble un nouvel individu.
La technique du transfert comme l’interculturalisme qui implique le dialogue permet cela, à la différence du collage qui juxtapose des éléments disparates découpés et qui s’apparenterait au multiculturalisme, les faisant cohabiter ou les superposant sur un autre support. Le transfert permet de mêler les éléments hétérogènes jusqu’à ne plus pouvoir les extriquer, laissant parfois ressurgir l’un ou l’autre en transparence.
Les personnages, sauf le bébé, l’homme neuf à venir arborent des nœuds à la tête (se faire des nœuds au cerveau, aux boyaux de la tête, est une expression qui me reviens souvent)
Nœuds, plastiquement dans ma mémoire il y a cette obsession du cheveu discipliné dans notre communauté, l’indien graisse son cheveu de carapate, le tire si bien que rien ne dépasse... ici le cheveu est noué mais en pangal*, en katéli*, on dénote une disruption, une rupture, brisure, cassure. Contraire : continuité, poursuite, permanence. Elle décrit les changements radicaux dans un monde mouvant, généralement causé par une entreprise qui introduit de nouvelles technologies ou de nouvelles méthodes ...
Le trou central dans le corps de la bête, dans lequel un personnage semble se faire happer, ce sont ces "Trous de mémoires " orchestrés sciemment par l'Education nationale, l'enseignement partiel de nos mémoires collectives, auquel les artistes de notre zone géographique dépourvus de passé traçable et gravé, tente de remédier.
Bien sûr, les conques dans ce travail renvoie au titre " Babel" où il est question dans le récit biblique, d'une grande confusion, où tout le monde parle sans pouvoir " s’entendre". Dans ce travail précis évoquent la parole émise, le cri, le signal, elle est parfois menacée, d'être recouverte, ou inaudible, Conque, vague, la voix, éteindre la voix, couvrir la voix... Elles symbolisent également en bordure de mer, en rangée savamment alignées, le tombeau, quelque chose là enterré, délimitant une aire sacrée ...
Marcher sur des œufs, sur des nuages ( idéalisme) sur des oreillers avec en référence les dessins/ etudes de albretch Dürer, plein de poésie, d’onirisme, ( état apathique, mélancolique, memento mori :souviens-toi que tu vas mourir ». Statique, repli nécessaire pour que l'action se fomente et se passe) révolution en pantoufles, de velours, confortable, révolution d’ idées, loin des préoccupations basses, la main dans la terre...) Ce n'est pas la première fois qu'un artiste utilise les draps du lit pour défendre l'imaginaire.
De Albrecht Dürer, garder la façon de tordre l'étrange et l'imaginaire : les formes des oreillers et leurs plis, portent comme la marque des rêves, au réveil.
"Ceux qui profitent d'un système malade seront toujours contrariés de le voir guérir" de l'axiome attribué à Louis XVI, que l'on retrouve partout distillé dans ce Babel où confusion, chao et charivari, n'entravent l'impression de grande harmonie, une contorsion sans issue ?
Traversées Contemporaines Exposition collective Fonds d'art contemporain Guadeloupe 14 mars - 19 avril
Les mots de Pauline Bonnet , Pauline Bonnet
Chargée du Fonds d'Art Contemporain
Et commissaire de l’expo Traversées contemporaines :
“Entre mémoire et horizon, Traversées contemporaines est une
invitation à arpenter des territoires multiples : ceux du corps, des objets
et des récits. Chaque œuvre exposée est une balise sur ce chemin sinueux,
où l’intime rencontre le collectif, où la matière dialogue avec l’invisible, et
où les mythes se fissurent pour laisser émerger de nouveaux dialogues.
Ces traversées ne sont pas linéaires. Elles sont faites de détours,
de confrontations et de métamorphoses. Les artistes nous entraînent
dans des espaces où la mémoire n’est jamais figée, mais en constante
réinvention. Les corps portent les stigmates du passé, les objets racontent
les silences, et les symboles s’effritent pour révéler des vérités enfouies.
En offrant ces regards croisés sur l’histoire, l’identité et
création, Traversées contemporaines ouvre des perspectives
nouvelles. C’est un espace de résonance où chaque œuvre, par sa
force esthétique et sa portée symbolique, contribue à une réflexion
plus large sur notre manière de voir, de comprendre et de transmettre.
Le titre Traversées Contemporaines évoque le déplacement, la migration des formes et des idées, les passages d’un temps à un autre, d’un lieu à un autre. Il suggère un double mouvement : celui d’une introspection, où l’on puise dans les racines pour comprendre notre présent, et celui d’une projection, où l’on se laisse porter par des visions artistiques ouvertes sur des possibles futurs. Ces traversées, qu’elles soient géographiques, culturelles ou symboliques, reflètent l’essence du Fonds d’Art Contemporain, en dialogue avec son territoire, son public et le monde. De ces traversées, plusieurs motifs émergent, se répondent et se réinventent. Le corps, dans sa présence affirmée ou sa contrainte, l’objet, porteur de mémoire, de silence ou de rituel ou encore la matière, où s’inscrit la tension entre effacement et persistance. “